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[Corée Affaires 108] Le monde d’après

Par Oriane Lemaire, Editrice en chef du Corée Affaires & Directrice de la Communication à la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-coréenne

 

Nous sommes le 9 juin, 17 heures à Séoul. Plus de 400 personnes issues du monde entier (de France, de Corée, d’Inde, de Grande Bretagne, d’Afrique du Sud, du Cameroun, …) se connectent en ligne : des chefs d’entreprise, des cadres supérieurs, des responsables institutionnels, mais aussi le grand public. Tous sont concernés par les conséquences potentiellement désastreuses de la crise du Covid-19 et s’interrogent sur le monde d’après. Tel est l’objet du débat d’idées organisé par la Chambre de Commerce et d’Industrie franco-coréenne le 9 juin, qui a réuni Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre, Jacques Attali, écrivain, Kim Gunn, Vice-Ministre des Affaires étrangères et Kim Yeon-Hee, Présidente de BCG en Corée, afin de partager leur vision du monde post-covidien.

Alors que le pic de la crise sanitaire semble être passé dans la plupart des pays, les répercussions politiques, économiques, géopolitiques, sociales voire philosophiques, ne font, elles, que s’esquisser.

 

Une gouvernance mondiale ébranlée

Premier bouleversement : la redéfinition des facteurs de puissance et de l’ordre mondial. Les relations internationales se déséquilibrent, la notion de multilatéralisme est remise en question. En effet, « le virus a déclaré la nouvelle « guerre froide » entre les États-Unis et la Chine. Les relations internationales seront structurées autour de ces deux superpuissances », estime M. Raffarin. Dans ce cadre, l’Europe se retrouve dans une position délicate face à de nombreux défis : son rôle face à ces deux superpuissances, le retrait des étasunien des accords de Paris, le Brexit, le dossier de la Russie, la situation de l'Otan, etc. L'ancien Premier Ministre s’interroge aussi sur le postulat selon lequel certaines formes de gouvernement auraient un avantage comparatif face à la pandémie : « Cette nouvelle donne va créer une dialectique montante entre les régimes autoritaires et les démocraties ». D’autant plus qu’une grande partie du monde est dominée par les « néo-autoritaires » (Erdogan, Orbàn, Poutine,…) et les « nationalo-populistes » (Trump, Bolsonaro, Modi,…), pour reprendre les mots du diplomate Michel Duclos.

Une inquiétude partagée par le vice-ministre coréen des affaires étrangères, M. Kim Gunn, qui estime que « nous pourrons assister à une montée du nationalisme dans l'ère post-Covid-19, en particulier dans le domaine économique. […] Nous sommes à la croisée de deux alternatives : l'une vers un avenir plus inclusif et universel, l'autre vers un avenir exclusif et isolé ». Question difficile donc que celle de la réhabilitation de la gouvernance mondiale. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies n’a pas pu s’accorder sur une résolution sur le Covid-19, faute d’accord entre les Etats-Unis et la Chine. « C’est une réalité inédite, puisque même durant la Guerre Froide, les Etats-Unis et l’URSS étaient parvenus à se mettre d’accord pour favoriser la recherche d’un vaccin contre la polio », écrit Joseph Borell[1].

 

L’avenir de la démocratie

Et pourtant, la Corée, aux côtés de Taiwan, de la Nouvelle-Zélande, de l’Islande ou encore de Hong-Kong, a montré que les régimes démocratiques pouvaient bien maîtriser à l’échelle nationale cette crise de portée mondiale. « La crise du coronavirus a été révélatrice d'un changement d'échelle des puissances, [...] la Corée est probablement en train d'atteindre une nouvelle stature », a déclaré Philippe Lefort, Ambassadeur de France en Corée. Il prévoit notamment que, dans le futur, « la Corée sera sans doute une puissance atypique, en ce sens qu'elle n'aura pas le loisir de s'exercer sur un environnement régional immédiat, compte tenu du voisinage de la Chine ». « Par conséquent, elle privilégiera certainement des logiques d'expansion et d'alliances au long cours avec des partenaires qui pourront lui apporter des éléments de complémentarité pour renforcer son influence, son autonomie et sa souveraineté ». Des partenaires tels que la France qui a, plus que jamais, une carte à jouer avec le Pays du Matin calme.

A cet égard, Jacques Attali regrette que l’Europe ait suivi l’exemple chinois et non le modèle coréen. Mais il n’est pas trop tard pour s’en inspirer selon lui : « La crise n'est pas finie. […] A l'échelle mondiale, le nombre de cas augmente. La mise en place d'un modèle coréen ailleurs est essentielle. Il y a donc un marché d'exportation massif pour tous les équipements médicaux et pour le reste du monde ». Le Président de la Fondation Positive Planet milite en ce sens pour une « démocratie du combat » en opposition à une « démocratie de l’abandon », capable de mener une économie de guerre soutenant les secteurs essentiels à l’épreuve des crises.

 

L’économie en question

« Aux démocraties de faire mieux. Au plus vite. Il leur faudra pour cela développer l’économie de la vie […] dont font partie les outils de la démocratie, parmi lesquels la liberté de la presse et l’éducation. »[2] Selon l’ancien Conseiller spécial de François Mitterrand, il est en effet temps de valoriser les secteurs de l’économie de la vie : la santé, l'hygiène, la gestion des déchets, la distribution de l’eau, le sport, l’alimentation, l’agriculture, l'éducation, l'énergie propre, le numérique, le logement, les territoires, la culture, les assurances et le crédit …

Ce sentiment est partagé par Kim Yeon-Hee, Next Leader du Forum de Davos, et Présidente de BCG en Corée. Les acteurs économiques seront le porte-étendard de cette transition et devront s'adapter aux nouvelles attentes des individus. L’ère post-Covid sera marquée notamment par l'explosion des contenus en ligne (vidéo et streaming en particulier). « Les individus seront aussi amenés à valoriser de plus en plus le temps passé chez eux […] Ils ne se contentent plus de se divertir en ligne. Par exemple, les conférences culturelles en ligne produites par un grand magasin de Hyundai en Corée ont rencontré un grand succès ! », souligne-t-elle. Une transition s’opérera vers des contenus générés par les experts, répondant aux attentes de consommateurs de plus en plus exigeants, connectés et inquiets face aux enjeux de santé.

 

Nous avons de nombreuses raisons d’être pessimistes face aux conséquences de la crise. Pourtant, on peut se réjouir de l’émergence de certaines formes de consensus mondial des sociétés civiles au sujet de la survie de notre planète. Un message d’espoir et une ode à l’altruisme qu’il est bon de rappeler en ces temps dangereux.

 


[1] Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, dans son papier « Covid-19 : le monde d’après est déjà là… », Politique Etrangère, février 2020, IFRI

[2] L’économie de la vie, Jacques Attali, éditions Fayard 2020

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