[Corée Affaires 108] Economie coréenne : « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise »
La pandémie de Covid-19 apporte de nombreux changements dans la vie quotidienne qui étaient inimaginables auparavant.
Selon les experts médicaux, il faudra probablement des années avant que nous parvenions à contrôler le virus et, par conséquent, nous devrons vivre avec une nouvelle norme de distanciation sociale durable.
Le défi pour chaque gouvernement est de savoir comment naviguer dans ce nouveau paradigme et s'assurer de maintenir leur économie à flot. Le PIB coréen au premier trimestre a diminué de 1,4% en glissement annuel, son plus faible score depuis la crise financière mondiale de 2008. La faiblesse de la consommation en a été le principal facteur. Les mesures de distanciation sociale et l'effondrement de la confiance des consommateurs ont freiné les dépenses. Le ralentissement de la demande mondiale a provoqué pour la Corée un déficit commercial en avril, pour la première fois depuis 2012.
La réponse de la Corée à la pandémie de coronavirus a fait l’objet de louanges au niveau international ; elle est considérée aujourd’hui comme un modèle pour les autres pays. Le Gouvernement coréen a mis en œuvre une stratégie basée sur la transparence, les tests et l’utilisation de la technologie pour tracer et contenir la circulation du virus.
Sur le plan économique, la Banque Centrale coréenne (BOK) s’est montrée proactive dans l’adoption de mesures de protection des marchés financiers et a abaissé son taux directeur à des niveaux historiquement bas. Le gouvernement a également déployé des mesures de grande ampleur représentant plus de 10% du PIB pour soutenir l'économie locale. Il y aura sans doute de nouveaux dispositifs dans le contexte d'un troisième budget supplémentaire décidé cet été. Ce plan audacieux a porté ses fruits d’ores et déjà et a été essentiel pour la victoire écrasante du parti démocrate au pouvoir et ses alliés aux dernières élections municipales de mi-avril. Nous prévoyons que cette approche proactive combinée à la politique monétaire contribuera à soutenir l'économie, même si une contraction cette année sera difficile à éviter.
La victoire électorale est cruciale pour la Corée dans les années à venir, car le président Moon et à ses alliés auront les mains libres pour façonner l'économie coréenne dans le cadre de l’ère post-Covid. Dans un discours marquant la quatrième année de son administration, le président Moon a détaillé les objectifs pour le reste de son mandat. Il s'agit notamment de faire de la Corée une puissance numérique et une usine mondiale pour les industries de haute technologie, avec des atouts dans les industries liées à l'après-Covid-19. Le gouvernement augmentera également les investissements publics dans la version coréenne du « New Deal » visant à promouvoir les infrastructures numériques coréennes telles que la 5G ou les les villes intelligentes. Cette vision est louable car elle s'appuie sur les principaux atouts de la Corée, tels que le secteur des technologies de pointe et son haut degré d'adoption des TIC. Malgré l’annonce du « New Deal » coréen, les défis sont de taille, tant internes qu’externes, et doivent être abordés où moment nous entrons dans l’ère post-Covid.
Sur le plan intérieur, le défi pour la Corée sera de relancer la croissance potentielle dans le contexte d'une population vieillissante et d'une compétitivité en baisse. Le pays a le taux de fécondité le plus bas du monde et plusieurs études suggèrent que sa population a probablement atteint un pic en 2019. L’accroissement de la productivité sera crucial pour maintenir la croissance. La jeunesse coréenne est une importante source de potentiel inexploité, le chômage des jeunes s'établissant à 9,3%, soit plus du double du taux officiel. Certes, un afflux de jeunes aux esprits plus libres peut se heurter à des générations plus âgées plus habituées à une structure hiérarchique traditionnelle. Cependant, la création d'opportunités pour ces nouvelles générations leur permettant d’exploiter leurs capacités à innover et à entreprendre dans un marché en évolution rapide sera la clé de la croissance future dans ce nouveau paradigme.
La réduction de la rigidité du marché du travail coréen contribuerait également à la hausse de productivité. Dans le rapport sur la compétitivité mondiale 2019 du forum de Davos, Séoul se classait au 13e rang sur 141 économies. Cependant, la Corée ne s'est classée qu'à la 51ene place en termes de politiques du marché du travail. La flexibilité de son marché du travail s'est classée au 97e rang en raison de plusieurs facteurs tels que les coûts de licenciement élevés, la faible coopération dans les relations entre les employés et l'employeur et de mauvais scores pour les pratiques d'embauche et de licenciement. Ces pratiques augmentent les coûts opérationnels et rendent plus difficile l’apport de nouveaux talents et de nouvelles idées. Le gouvernement doit jouer un rôle moteur dans l'élimination de ces obstacles.
Du côté des menaces extérieures, le défi pour la Corée sera de naviguer dans un nouvel ordre mondial et de trouver un équilibre entre ses deux principaux partenaires commerciaux, les États-Unis et la Chine, aux relations de plus en plus tendues. La mondialisation s’écarte au profit de la régionalisation, impliquant la nécessité d’un ajustement du modèle d'exportation coréen. Les chaînes d'approvisionnement devront également se diversifier pour réduire les risques opérationnels. Les conflits commerciaux des dernières années ont conduit les pays à prendre conscience de la nécessité d'une plus grande autonomie. En Corée, le modèle de croissance traditionnel basé sur les exportations et la dépendance au commerce mondial devront progressivement évoluer vers un modèle plus équilibré.
Dans le nouveau paradigme instauré par la pandémie inédite du Covid-19, la Corée est bien placée pour en tirer parti et surmonter les difficultés en s’appuyant sur un gouvernement disposant d’une majorité forte. L'économie conserve de nombreux atouts qui lui confèrent un avantage pour s'adapter au nouvel ordre mondial. Il pourra y avoir des soubresauts, mais l'économie coréenne restera résistante. Comme Winston Churchill l'a dit un jour, « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ».