COVID-19
[Corée Affaires 108] Covid-19: Réinventer nos espaces !
Par David-Pierre Jalicon, DPLG/PDG de DPJ&Partners, Architecture.
La crise de la Covid-19 a été l’occasion de redécouvrir nos espaces du quotidien que ce soit l’habitat ou notre lieu de travail. Nous les avions presque oubliés et nous nous sommes rendu compte qu’ils n’étaient peut-être plus adaptés à nos modes de vie professionnels comme privés. La distinction elle-même entre ces deux types d’espace semble s’estomper tant on assiste à une sorte d’hybridation des modes de travail, dans des lieux tiers ou bien à la maison.
La généralisation du télétravail pendant la crise a bien démontré cette perméabilité ainsi que la nécessaire évolution de nos espaces de travail. En effet de nombreux salariés attendent aujourd’hui une nouvelle expérience dans le rapport au travail : moins de déplacement inutiles (remplacés par des pratiques en ligne comme sur Zoom), plus d’efficacité et de confort psychologique pour les temps de réflexion, un meilleur accueil au bureau dans des espaces pour encourager le lien, l’intelligence collective et la créativité. Pourtant, « être à côté » améliore la spontanéité, et permet de confronter les idées… D’où l’importance de créer de plus en plus d’espaces collaboratifs tout en respectant les mesures sanitaires, on les appelle les « Hubs and Clubs ». « Hubs » pour les points de rencontre des forces vives de l’entreprise et « Clubs » pour la socialisation et le partage des valeurs de l’ADN de l’entreprise, à l’image des espaces de coworking. Du fait de la réduction des échanges avec l’extérieur, des lieux plus adaptés à l’organisation propre de webinaires se développeront à l’instar des studios Web qui tendent à se généraliser dans les entreprises. Cette hyper connectivité entrainera également la création de bulles de silence pour pouvoir apporter confort mental et intimité en cas de nécessité.
Allier partage et protection face à un virus n’est pas si facile, d’où l’importance de mutualiser les espaces. C’est-à-dire instaurer des rotations entre salariés et une alternance entre télétravail et travail au bureau. L’idée est d’avoir moins de monde au bureau et plus de m² par salariés grâce à des espaces agiles et reconfigurables : le « Flex Office » que l’on range tous les soirs pour s’installer le lendemain ailleurs.
Dans les années 80, un employeur prévoyait un espace de travail de 18 m² par personne et 110 postes de travail pour 100 salariés afin d’accueillir consultants, stagiaires et visiteurs. Fin 2019, ces ratios sont tombés à 11 m² et 80 postes pour 100 employés. Le télétravail et l’expérience de la Covid-19 devraient les faire chuter encore, à 60 ou 50 postes. Pour des raisons de distanciation physique, les entreprises redonneront quelques m² de plus à chacun mais cela passera par la mutualisation des postes de travail.
Cette mutualisation des espaces ou « Hotelling » n’est pas nouvelle. Nous l’avions déjà expérimentée dans les années 2000 pour l’aménagement des bureaux que nous avions réalisé pour une grande firme de consultants de plus de 600 salariés à Séoul. Elle souhaitait à l’époque optimiser l’espace à louer compte tenu de la nature même de leurs activités qui encourage le déplacement de leurs salariés à l’extérieur. Aujourd’hui, la pratique est plus répandue et certainement plus acceptée tel que nous pouvons le constater dans nos nouveaux projets. Elles ne concernent pas forcément l’ensemble des salariés mais certains services. Ce système d’Hotelling permet des réductions de surfaces pouvant aller jusqu’à 30 ou 40 %.
Ce changement va bien évidemment avoir un impact fort sur le marché de l’immobilier tertiaire qui est en repli. On voit à Séoul par exemple un taux moyen de vacance de 10%. Dans certains quartiers du centre-ville, il s’approche des 18%, ce qui entraine déjà la reconfiguration d’immeubles de bureaux en espace résidentiel (« Officetel »).
Cette évolution dans la conception de nos espaces de travail va bien entendu de pair avec des changements sociétaux, comme le fait que l’on ne se sociabilise plus uniquement au bureau ce qui a, pourtant, longtemps été le cas en Corée.
Cette reconfiguration n’est pas que spatiale, elle est également technologique avec le développement du « Touchless » et du « Data loaded » qui ressortent renforcés de la crise. Avec des outils à commandes vocales et donc des espaces de plus en plus digitalisés, l’employeur devra maitriser l’occupation pour limiter les risques de contagion. En lien avec le corps social, de nombreux capteurs équiperont l’espace afin de fluidifier les circulations, contrôler la densité dans les espaces et vérifier la santé de chaque personne s’y trouvant. De nouvelles normes de santé et de sécurité vont voir le jour. Pour l’instant, l’ISO 45 001 « Occupentional Health and Safety (OH&S) » est la seule norme de management de la protection du salarié sur son lieu de travail. Ce type de norme pourrait se développer à l’instar des standards sur le développement durable de type LEED si les crises sanitaires venaient à se répéter.
L’évolution des lieux de travail va de pair avec celle de l’habitat dans une sorte de jeux d’équilibre ou de vase communicant. Ainsi, à l’occasion du confinement volontaire ou non, de nombreuses personnes se sont retrouvées à devoir utiliser leur logement sur des modes et des temporalités qui leurs étaient inconnus jusque-là. Celui-ci reprend sa place centrale de lieux de vie mais également de consommation.
En effet, pendant le confinement, non seulement c’est bien depuis lui que les commandes de téléachat ou e-commerce sont placées puis livrées, mais c’est également lui-même qui en fait l’objet. Ainsi les achats de mobilier, d’objets de décoration, de bien-être, de loisirs, d’électro-ménager ont explosé ces derniers mois. Par exemple, les ventes en Corée d’Ikea ou encore d’Hanssem ont progressé de 30 %. Le meuble le plus vendu est la table à manger 6 places, en remplacement de la traditionnelle 4 places. Car entretemps, la table est devenue un lieu multifonctionnel, où l’on dine, travaille, télécommunique.
D’une manière générale, la maison ou l’appartement deviennent des lieux beaucoup plus polyvalents qu’ils ne l’étaient avant, ce qui devrait accroitre leur taille pour accueillir des nouveaux espaces de travail, de remise en forme (siège massant, sauna), de loisirs dédiés aux jeux vidéo en VR. Bref un habitat plus inclusif, plus protecteur, capable de subvenir aux besoins de la famille au sens large du terme.
Bien entendu, ces modifications s’accompagnent d’un équipement domotique et IdO de la maison toujours plus important. Ces technologies seront de plus en plus au service de notre santé, des contrôles anti bactériens, des systèmes de filtration d’air qui l’équiperont.
La Covid-19 nous donne une leçon sur nos espaces de vie, qui trop longtemps n’ont été vus que sous l’angle immobilier ou bien de l’optimisation foncière en oubliant que ce sont des lieux essentiels à nos équilibres de vie dont l’hygiène psychique comme physique doivent rester au centre des préoccupations.
Apprendre à vivre avec la Covid-19 et s’en protéger, ce sera tout à la fois revoir notre environnement mais aussi repenser notre mode de vie. Nous devrons, architectes, donner corps à cette vision. C’est l’essence même de notre métier, notre noble et lourde responsabilité.